Mange tes morts, Jean-Charles Hue, 2014


Le cinéma de Jean-Charles Hue, c'est un des rares exemples récents d'hybridation réussie entre des influences très américaines et un univers très français. C'est aussi une hybridation réussie entre le réel et la fiction.
C'est un petit paradoxe ce film, qui vise à la fois dans sa forme le "cinéma du réel", à travers les dialogues, la liberté laissée aux acteurs, naturellement charismatiques (avec cet effet de bord qui fonctionne : les imperfections de jeu sonnent juste), et un style visuel extrêmement soigné pour propulser ce réel vers un ailleurs, celui du mythe. La dramaturgie y est aussi très inspirée des films de gangsters américains : la famille et son emprise, le "droit chemin", la dignité, etc...
Le résultat est très puissant : tout sonne juste et est en même temps "bigger than life", suffisamment pour fasciner. A mille lieues du documentaire sociologique condescendant ou complaisant, le film n'en est que plus immersif.

La découverte de l'alpina de Fred, séquence fantastique de toute beauté

L'univers décrit, on le devine complexe, les divergences de point de vue sont nombreuses entre les différents membres de cette communauté. Il y a évidemment cette communauté dans la communauté, celle des chrétiens, qui reste enveloppée d'un certain mystère, mais aussi entre les différents membres de la famille qui s'opposent.
Il y a quelque chose de remarquable, c'est cette impression que les personnages, même secondaires voire figurants, continuent d'exister en-dehors du cadre. Ce hors-champ narratif c'est le terreau du film aussi, un coup de boule au naturalisme fabriqué : il ne s'agit pas ici de créer une fiction qui imite le réel, mais de se nourrir du réel pour le pousser vers le cinéma pur, à travers une mise en scène spectaculaire, presque fantastique lors de cette virée de nuit en bagnole, collé aux visages de Fred et ses frères.

Il faut parler de la lumière du film, magnifiquement soignée (ici point d'images fadasses ou grisâtres pour "faire vrai"), que ce soit en extérieur jour, les plans à contre-jour venant donner une dimension mystique au personnage de Fred, ou dans cette nuit bleutée éclairée par les phares des bagnoles. Cette lumière, qui déjà, venait inonder le premier film de Hue lors de la révélation spirituelle de son personnage principal, on la retrouve ici avec cette même dimension mystique.

On en veut encore.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Pour laisser un commentaire sans s'inscrire nulle part, choisissez Nom/URL dans la liste déroulante.