Vincent n'a pas d'écailles, Thomas Salvador, 2015


Quelques mots sur ce chouette petit film, un de ces films qui me font penser que son auteur peut difficilement être un total connard. C'est ce que je me suis dit en sortant "ça doit être un chouette type Thomas Salvador".
Mais que tout ceci est passionnant.

Parlons donc du film, qui est une tentative vraiment intéressante, une relecture par un auteur français sans pognon du film de super-héros. Avec en ligne de mire particulièrement (il me semble), le Spiderman de Sam Raimi, dont il revisite un des plus célèbres plans (un baiser tête-bêche)...
Nous sommes dans les Alpes de Haute-Provence. Vincent est un homme qui passe le plus clair de son temps à nager, ou à travailler sur des chantiers. Vincent a un secret : un super-pouvoir, dont je ne dévoilerai pas la nature, tant le film se plaît à nous la faire découvrir par petites touches subtiles. Un jour Vincent rencontre la belle Lucie et c'est le début d'une jolie histoire d'amour...

Le super-pouvoir, ici, n'implique pas forcément de "grandes responsabilités", déjà parce qu'il n'est pas si utile que ça, et parce que c'est le choix de Thomas Salvador d'en faire quelque chose d'à la fois assez anecdotique et merveilleux. Ce pouvoir est surtout source d'enchantement et de drôlerie, comme lors de la très belle scène dans laquelle Vincent le révèle à Lucie, estomaquée et amusée. Le montage qui suit, qui nous montre Lucie posant toutes les questions que les films de super-héros ne posent jamais par peur de bousiller la "suspension d'incrédulité" (comme y disent), est aussi un beau moment comique enjoué.
La source de ce comique c'est souvent la difficulté qu'ont les personnages du film à suspendre leur incrédulité d'ailleurs. Ils faut voir la difficulté qu'ils éprouvent à employer des mots ridicules comme "Pouvoir", hésitant souvent à l'employer pour ensuite se reprendre. Ce qui rappelle d'ailleurs la réticence d'un des personnages de l'excellent "The Battery" à prononcer le mot "Zombie".

La jolie séquence discrètement féérique que voilà!

Cette belle précision des dialogues est d'autant plus efficace qu'ils sont extrêmement rares. Une bonne partie du film est muette, et le cinéaste semble avoir beaucoup de goût pour cet exercice, qu'il s'agisse d'une rencontre amoureuse pendant laquelle les amoureux se retournent à tour de rôle mais sans que leurs yeux se croisent, ou d'une course-poursuite avec la maréchaussée, autant de très beaux moments de burlesque. Les excellents trucages "en dur", visent plus à provoquer un émerveillement un peu désuet qu'à impressionner, et ils y parviennent avec humour.

Il est vrai que l'extrême humilité de l'ensemble frôle le manque d'ambition (je préfère ça que l'inverse), mais Thomas Salvador a quand même un certain panache. Et, cerise sur le gâteau, le charme absolument dévastateur de l'interprète féminine principale.

Foxcatcher, Benett Miller, 2015


Le film de Miller, quoiqu'un peu froid, est passionnant et assez insaisissable, mystérieux car tout en se basant sur la psychologie de ses trois personnages principaux, il n'en explicite que très peu la complexité, ces trois personnages étant tout en intériorité.

Il y a d'abord ces frères, dont la relation est superbement résumée par une des premières séquences qui les unit : une séquence de lutte, dans laquelle l'échauffement et les prises tiennent lieu d'accolade, de témoignage d'affection, jusqu'à ce que la situation se tende et tourne à l'affrontement. Non seulement Miller se montre doué pour rendre ce sport beau (ce qui n'est à mon avis pas gagné), mais il parvient à travers ce court moment à nous décrire ses deux personnages à travers leurs corps, et leur manière de s'en servir. Mark Ruffalo est comme souvent impressionnant, troquant son habituelle féminité, pour quelque chose de beaucoup plus simiesque, le buste voûté sur ses grands bras. Quant à Tatum, il est également très bien, enfant de 10 ans prisonnier dans un corps massif, presque grotesque (quand il sautille sur le tank que vient d'acheter Du Pont par exemple).



Et puis il y a le riche Du Pont. Le personnage rappelle par certains côtés le personnage de gourou interprété par Philip Seymour Hoffman dans le déroutant The Master, notamment lorsqu'il fait répéter à son protégé la litanie absurde le décrivant : "ornithologist, philatélist, philantropist". Mais plus encore que dans le film de Paul Thomas Anderson, c'est la dualité comico-horrifique de sa folie qui nourrit l'interprétation géniale de Steve Carell. Le caractère aléatoire de ce personnage se résume à une des premières phrases qu'il prononce : "I'm an ornithologist, but overall I'm a patriot.". Le trésor que fournit Carell au film, c'est ce comique détraqué (pas de gags, pas de chute), son visage d'oiseau à la fois grotesque et effrayant, ses postures étranges. Mais c'est aussi une tristesse infinie qui se lit sur son visage ou dans ses actes détraqués.


On peut lire aussi le film comme un portrait de l'Amérique de Reagan à travers le patriotisme fou de Du Pont, cette obsession de la réussite et des flingues, cette folie qui n'est pas analysée comme telle par l'entourage de Du Pont. Les responsables de l'équipe olympique de lutte la confient à ce fou en échange de centaines de milliers de dollars... Et le film se termine sur ces cris : "U.S.A! U.S.A!".