2019, les découvertes en vrac : Les Banlieusards, 1989, Joe Dante


Intéressant de voir comme ces Suburbs américains auront irrigué le cinéma des années 80 (Blue Velvet, Edward Scissorhands, ...). Joe Dante choisit ici l'angle de la comédie fantastique satirique, avec son habituelle habileté à réutiliser les codes des films et séries (Twilight Zone) qui ont illuminé sa jeunesse de banlieusard. La bande originale du toujours excellent Jerry Goldsmith joue le même jeu du décalage, les grandes orgues faisant parfois irruption dans la partition le temps d'un clin d'œil.

Le problème de ces suburbs si tranquilles, Joe Dante l'identifie assez clairement : l'ennui, qui pousse à espionner son voisin (voir aussi le personnage de Ricky, qui se satisfait du spectacle des enfantillages de ses voisins mâles quadragénaires, et invite même des potes pour regarder). C'est aussi l'esprit de communauté, qui pousse à se méfier de toute différence, de tout soupçon de marginalité. Ce qui est cool c'est que la violence du propos n'autorise pas le cinéaste au jeu de massacre : il reste relativement tendre et humaniste, même lorsqu'il se moque du militarisme et du patriotisme idiot de l'ancien combattant interprété par un toujours génial Bruce Dern. 
Tom Hanks est toujours excellent dans ce registre de l'américain standard hébété qui se fait chier. A ses côtés on retrouve avec plaisir Carrie Fisher, rayon de soleil d'intelligence qui tente de réveiller son mari et siffler la fin de la récré. C'est beau de voir comment Joe Dante parvient à insuffler un souffle politique dans un film si agréable et en toute humilité. En résulte cette joyeuse comédie qui, si elle manque parfois de rythme, a toute ma sympathie.

2019, les découvertes en vrac : La Honte, Ingmar Bergman, 1968

Comme, pour des raisons très joyeuses, je ne suis que très peu allé au cinéma cette année, j'ai décidé de faire un top de mes découvertes de l'année, qu'elles soient récentes ou non. 

Parmi toutes ces découvertes listées là : https://www.vodkaster.com/listes-de-films/decouvertes-2019/1402283, voici ceux sur lesquels j'ai quelques mots à dire.


J'ai dit au frangin "Je suis chaud patate frère, c'est le moment de sortir du film d'auteur potentiellement chiant, ou du classique, qu'on puisse un peu se la péter en société".
Ni une ni deux, du tac-au-tac, et après 25 minutes à parcourir son disque dur, il me sort l'artillerie lourde : un Bergman, et du rhum arrangé (au cas où...)
C'était ma première confrontation avec  Bergman, j'avais les mains moites. J'imaginais un truc vraiment très austère, cruel, et pas vraiment joyeux. Alors c'est sûr que c'est pas hyper gai, "la Honte", vu ce que ça raconte : la Guerre,  et la difficulté d'un couple à y survivre. 

Cependant ce qui m'a surpris c'est la beauté formelle du film, la fluidité de son découpage et de son montage, son beau noir et blanc, sa capacité à capter l'oeil du spectateur. C'est marrant on parle tellement de l'écriture, de la complexité thématique des films de Bergman, de cette manière de nous confronter avec nos peurs (ici, les horreurs de la Guerre et l'incapacité à s'y soustraire), qu'on en oublie la beauté de la mise en scène : qu'il s'agisse de la puissance d'une explosion (la guerre faisant irruption avec violence), de la beauté des cadres, de l'étrangeté onirique qui se dégage de la scène finale dans le bateau. Cette beauté parvient à sublimer ce qui nous est montré.

Alors si vous hésitez à vous lancer, pensez-y : c'est aussi du très beau cinéma.

Ou alors j'avais trop bu de rhum?



2019, les découvertes en vrac : Frédérick Wiseman

Comme, pour des raisons très joyeuses, je ne suis que très peu allé au cinéma cette année, j'ai décidé de faire un top de mes découvertes de l'année, qu'elles soient récentes ou non. 

Parmi toutes ces découvertes listées là : https://www.vodkaster.com/listes-de-films/decouvertes-2019/1402283, voici ceux sur lesquels j'ai quelques mots à dire.

Belfast, Maine , Frederick Wiseman, 1999
Grosse découverte de mon année, ces documentaires de Wiseman. Belfast, Maine est un tour de force. Si je vous dis que Wiseman est dans une démarche presque encyclopédique, qu'il cherche à rendre compte de toutes les activités humaines dans cette ville tout à fait normale des Etats-Unis, que ça dure 4h, vous allez probablement vous barrer en courant. Et pourtant, ces suites de séquences de 4 à 5 minutes, sans voix off, entrecoupées par les inlassables va-et-vient des pickups dans les rues de la ville, produisent un effet hypnotique.

La pâtisserie selon les américains

Chaque séquence est un petit film, le jeu avec l'intellect du spectateur est permanent et maintient notre attention. Que filme-t-on ici? Qui sont ces gens? le cerveau du spectateur fonctionne, et trouve toujours récompense. Puis débute la séquence suivante, etc... Il y a quelque chose ici de reposant et stimulant à la fois. On peut même décrocher, et revenir dans le film quelques minutes plus tard, au gré du montage. Très agréable document, et en même temps, on imagine bien fournir ça à des extraterrestres voulant en savoir plus sur les humains.


Public Housing, Frederick Wiseman, 1997
Public Housing adopte une forme assez similaire. Mais il s'agit ici de filmer un quartier très pauvre de Chicago, un ghetto noir. Wiseman fouille ces lieux aux problèmes qui paraissent insolubles, à la recherche de lueurs d'espoir. Le documentaire est constamment sur cette corde raide : ne pas masquer la réalité, mais chasser toujours l'espoir, sans jamais s'abaisser à la manipulation (du spectateur, des acteurs). Le dispositif minimaliste et pudique de Wiseman génère ici beaucoup d'émotion, sans jamais forcer. 
Quelques moments merveilleux comme cette vieille dame qui trie des feuilles de chou pendant qu'un homme vient faire je ne sais plus quel travail chez elle : le temps qui semble s'écouler à des vitesses différentes pour les deux. Je retiens aussi un personnage récurrent magnifique, celui de l'élue associative locale, faisant le lien entre les habitants du quartier et les politiques de la ville (qui, d'ailleurs, resteront hors-champ : choix éloquent de Wiseman - ou preuve qu'ils n'y foutent jamais les pieds). Encore un document merveilleux, poignant, rigoureux, qui lie presque magiquement optimisme et lucidité.

Des feuilles de chou, le temps suspendu




Le Cinéma de mon père, film2 : Une époque formidable, Gérard Jugnot, 1991


"ça, ça me fait rire, ça"

Mon père ne se lassait jamais de ce film et il ponctuait toujours son visionnage de cette phrase. On se moquait même un peu, on comprenait pas trop pourquoi CE film. Je crois qu'on peut dire que c'était sa comédie préférée.
Le film raconte l'histoire de Michel Berthier, cadre moyen qui se fait virer et va se retrouver à la rue. Il rencontre alors un trio de SDF avec lequel il va faire un bout de chemin.

J'avoue que j'avais un peu peur en lançant le film. Après avoir revu certaines comédies du Splendid qui me faisaient marrer gamin, je m'étais rendu compte que c'était souvent un humour assez méchant, voire méprisant, rarement du côté de ceux qui souffrent. Du coup, Jugnot qui fait un film avec des clodos, il y avait de quoi flipper un peu.
Bon eh bien, j'ai eu raison de faire confiance à mes souvenirs, à Gérard (qui fait quand-même partie des plus sympathiques parmi les splendidos), et au paternel surtout.
Force est de constater que le regard et le ton de Jugnot sont toujours justes, il réussit un film vraiment bienveillant, humaniste.
Tout en gardant l'efficacité typique de son style : les répliques claquent, avec le bon rythme, une certaine tendresse, juste assez de cruauté ("T'es un killer, Berthier!").


Ils avaient piqué la mobylette du frangin pour les besoins du film

Le Toubib, Crayons, et Mimosa

Ainsi donc, le film s'appuie sur ses dialogues (dans la grande tradition de la comédie populaire française), mais aussi sur son quatuor de personnages principaux, parfaitement castés, justes. Jugnot lui-même se donne le rôle de Berthier, ce type un peu moyen, un peu con, un peu lâche qui va, au fur et à mesure du film, se rééduquer à l'Autre. 

Mais c'est surtout le trio de SDF qu'il va rencontrer qui tient le film. 
Il y a Mimosa, le colosse, avec sa rage enfantine, campé par un superbe Chick Ortega (une sacré tronche des 90s, vue aussi chez Jeunet & Caro). Il y a ensuite "Crayons", interprété par Ticky Holgado : une autre tronche - et voix - du cinoche français. Il est ici sur un registre habituel mais il a rarement je pense été aussi émouvant avec sa loyauté jusqu'à l'excès ("Oh, moi c'est vous, toubib").
Et enfin, bien sûr, "le toubib", porté par un très intense Bohringer, jamais loin du cabotinage mais ici parfait : orateur plein de verve, enragé, qu'on sent toujours à la limite d'exploser. Le toubib c'est la colère rentrée, quand il explose on explose avec lui. C'est aussi le chef, avec ce que ça implique d'ambiguïté.

La force du film c'est de donner à ces types des moments de grâce inattendus, à l'image de ce pas de flamenco de Mimosa venant d'arracher l'autoradio des journalistes, salué par la foule. Une certaine poésie qui tient miraculeusement en équilibre. Et en même temps, Jugnot ne triche pas : on ne nous cachera pas que la capacité de ces bonhommes à survivre dans la rue passe par l'arnaque, voire la violence. C'est l'autre piège évité, celui de l'angélisme, dans lequel on aurait pu voir tomber le film.

"ça, ça me fait rire, ça"
Je crois pas me tromper en disant que rares étaient, en fait, les comédies qu'aimaient vraiment mon père. Dans cette phrase il y avait cette manière de distinguer celle-ci des autres. Peut-être parce qu'elle n'était pas seulement drôle, qu'elle charriait aussi des valeurs dans lesquelles il se reconnaissait. Alors forcément, lui, les conneries des ZAZ que je matais en boucle (et que j'adore toujours), ou l'absurdité quasi abstraite des Monty Python que kiffait mon frère, ça lui parlait moins.
Mais là, il faut bien le dire, il y autre chose, d'à la fois désespéré et enjoué, une célébration de l'amitié, qui m'est fort sympathique.

"ça, ça me fait rire, ça"
Moi aussi Papa.

Grâce à Dieu, François Ozon, 2019


Les films de François Ozon me laissent habituellement froid (ou m'énervent, c'est selon). "Grâce à Dieu" est donc une belle surprise pour moi.
Le sujet (la libération de la parole des victimes d'un prêtre pédophile) avait de quoi effrayer.
Pourtant, Ozon parvient non seulement à éviter les écueils attendus, mais à étendre le cadre du film d'enquête/procès, à la différence du réussi mais etriqué "Spotlight", sur un thème un peu similaire.


Les écueils évités.
Tout d'abord il évacue assez vite la question de la véracité des témoignages des victimes. En effet, le prêtre incriminé avoue dès la première entrevue avec Alexandre, la première de ses victimes à se manifester. On comprend assez vite aussi que les faits étaient connus d'autres adultes. On évite ainsi un suspense un peu foireux, et on décale la question de l'individu vers une problématique plus politique : celle de l'institution, de la communauté. L'autre peur que l'on pourrait avoir serait de voir Ozon verser dans la provoc facile, on redoute les scènes de flashback. Pourtant, il désamorce presque à l'avance ces séquences : elles sont toujours précédées d'un témoignage oral (ou une lettre), comme si la parole faisait renaître le souvenir. C'est une très belle idée, qui permet aussi d'éviter un suspense un peu dégueulasse, et la tentation du "plan choc".


La parole libérée.
Le nom de l'association de victimes "la parole libérée" implique qu'elle a été prisonnière. C'est là que le côté un peu méchant d'Ozon sert véritablement le film, créant une belle complexité à travers les faiblesses de ses personnages (les parents, mais aussi - c'est très osé - les victimes). Il s'agit de s'interroger sur nos arrangements avec nos souvenirs, nos oublis volontaires ou non. Il ne s'agit bien sûr pas de remettre en cause les témoignages des victimes (heureusement), puisque le prêtre avoue, mais plutôt de la manière dont leurs proches ont agi dans le passé, et comment se replonger dans ces souvenirs réécrit leurs relations, recrée des rancœurs (la terrible relation fraternelle du personnage interprété par un génial Ménochet).

Trois héros.
Un parti-pris permet cette complexité : celui de confier le rôle de protagoniste à trois personnages très différents successivement, faisant évoluer le rythme et le ton du film, et permettant de faire de ces victimes des individus à part entière. Une première partie très littéraire, presque policée, comme Alexandre. Une deuxième partie énergique, plutôt cash, et drôle comme François. Et une dernière partie tragique, volcanique comme Emmanuel.

On en arrive à un des problèmes du film : le traitement réservé aux personnages féminins. Les femmes sont jalouses, les mères sont possessives mais trop soucieuses de leur image dans la communauté. La seule qui semble trouver grâce à ses yeux (la femme d'Alexandre) est celle qui se tait et s'efface devant son mari. Mais surtout, il y a cette violence d'Emmanuel envers sa petite amie, et le fait qu'Ozon semble presque l'excuser. Cet accès de violence a néanmoins (involontairement?) une vertu : celle d'amener, là aussi, une complexité finalement bienvenue, les victimes pouvant aussi, à leur tour, se changer en bourreau.
Ces crises de jalousie introduisent aussi la question (difficile) du rapport entretenu avec les médias, de la place accordée à la parole de chacun, voire (et c'est très dur) du plaisir éventuellement éprouvé d'être courtisé, ou, du moins, de s'épancher. Les questions posées font de ces personnages des humains, avec leur défauts, et sans qu'Ozon fasse preuve de trop de froideur.
Car cette complexité n'empêche jamais l'émotion de déferler, et de manière souvent inattendue. 
Mais surtout, le film laisse une trace, des séquences reviennent, il se livre aussi "à retardement". C'est rare et précieux.